Malgré que leurs besoins de base seront garantis par l'AU, la plupart des citoyens continueront de travailler, et cela pour diverses raisons que l'on peut classer en deux groupes, selon leurs motivations matérialistes ou spirituelles. Celles-ci semblent confirmées par diverses expérimentation d'une AU partielle. Enfin dans le cas où la baisse de l'offre de travail induite par l'AU serait trop élevée, un service civil obligatoire pourrait accompagner l'AU.
1. Motivations matérialistesSelon une étude réalisée en 2008-9 par Angus Deaton et Daniel Kahneman (prix Nobel d'économie respectivement en 2015 et 2012), au-delà d'un budget de 75.000 dollars net par an pour un ménage US l'argent ne participerait plus à une augmentation du sentiment de bonheur.
Exprimé en euros cela donne : 75.000 * 0.8 / 2,6 / 12 ≈ 1.900 euros/mois par personne en moyenne.
Valeurs prises pour la période 2008-2009 (celle de l'enquête Deaton-Kahneman). Taux de change EUR/USD en PPA : 0,8 [source] ; nombre moyen de personnes par ménage USA : 2,6 (France : 2,3).
Pour un individu avec comme seul revenu une AU de 1.200 euros/mois il subsiste donc un incitant à travailler au moins (1.900 - 1.200) / 10 / 4 ≈ 18 heures/semaine à un salaire horaire net de 10 euros, pour obtenir une revenu net de 1.900 euros/mois.
Neutralisation de l'effet de trappe à inactivité. Enfin il convient également de prendre en compte un effet important de l'AU : la neutralisation de l'effet de trappe à inactivité, ce qui – toute autre chose étant égale – aura pour conséquence une augmentation de l'offre de travail.
Diverses enquêtes sociologiques montrent que la plupart des humains aiment travailler, pas seulement pour s'enrichir et acquérir des biens "de luxe", mais aussi, et peut-être surtout parce que le travail est l'occasion :
Ainsi Jean Tirole, prix Nobel d'économie 2014, confirme que « particulièrement prégnante est la demande de dignité. Il est de la nature de la très grande majorité des êtres humains de se sentir utile à la société, et non d'être une charge pour elle. (...) La plupart des individus veulent être utiles à la société, et l'emploi, rémunéré ou non (comme le travail en milieu associatif) est une façon d'atteindre cet objectif » [source p. 91 et 559].
NB : Tirole n'avance pas cet argument pour justifier l'AU mais la ... flexibilisation du travail sur le modèle des réformes Hartz !
La satisfaction d'être utile à la société est logiquement d'autant plus prégnante pour les tâches ingrates telles que le ramassage des poubelles. Ainsi les ramasseurs de poubelles (également appelés "ripeurs") sont évidemment bien conscients de l'importance de leur travail (que l'on comparera utilement a la "valeur" du travail des publicitaires par exemple ...). Ce qu'ils aiment le moins dans leur travail ce sont probablement les horaires.
Et puis s'il s'avère que l'AU (du modèle synthétique) implique d'augmenter les salaires des travaux ingrats pour que ceux-ci continues d'être réalisés, n'est-ce pas plutôt une évolution positive ? N'est-il pas profondément injuste qu'ils soient en outre peu rétribués ?
Enfin des biens et services sont également produits par celles et ceux qui, bien que n'ayant pas de travail salarié ou indépendant, ont néanmoins une activité productrice. On observe déjà aujourd'hui le développement d'un « secteur quaternaire » composé de bénévoles actifs dans des domaines variés : soins de santé, journalisme, recherche scientifique, art, ...
Résultats d'un sondage sur l'AU [source]
Analyse. Ainsi donc, selon que l'on questionne les sondés sur eux-mêmes ou autrui, ils donnent globalement des réponses contradictoires. Par conséquent, pour pouvoir tirer une conclusion de ce sondage, il faudrait déterminer si un individu décrit mieux la réalité humaine lorsqu'il parle de lui-même ou d'autrui. Il reste donc à compléter ce sondage par des recherches sur cette question ...
Amérique du Nord. Dans les années 1968 à 1972 quatre expériences de "revenu garanti" furent menées aux USA dans différents milieux (urbains ou agricoles), auprès de différentes populations (couples, familles monoparentales, ...). L’objectif principal était de tester le comportement des travailleurs. Ces expérimentations ont permis d’observer une faible diminution du temps de travail chez les hommes mariés (1 à 8 %), plus élevée chez les femmes mariées (15 à 20 %), et encore plus élevée (mais toujours minoritaire) chez les mères isolées, qui réduisent leur temps de travail de 15 et 27 % [source]. La réduction du temps de travail chez les femmes serait donc motivée moins par la paresse que par désir de consacrer plus de temps à l'éducation des enfants (NB : ce qui aura un impact positif considérable sur leur productivité une fois devenus adultes ...). Notons enfin que pour être complète, une telle étude devrait évaluer la part des augmentations de temps de travail induites par l'AU, via la suppression de l'effet de trappe à inactivité !
Ainsi une étude publiée en 2017 par rooseveltinstitute.org et portant sur une série d'expérimentations aux USA et au Canada conclut qu'un revenu inconditionnel même substantiel ne réduit que faiblement voire pas du tout l'offre de travail. En outre des effets très positifs sont observés sur la santé physique et psychique, les résultats scolaire, l'ambiance familiale et la criminalité [source].
Afrique. Des expériences furent réalisée entre 2008 et 2012 dans un village de 1200 habitants en Namibie (montant de l'AU : 6,3 euros/mois, soit 54% du revenu moyen). Selon les promoteurs de l'expérience (des ONG protestantes allemandes) Les résultats furent très positifs : baisse drastique du nombre d’enfants en état de sous-nutrition, hausse du taux de scolarisation, ainsi qu’un développement des créations d’entreprises individuelles [source p.29].
Iran, champion du monde. Le remplacement (2010) de prix subventionnés pour les produits de première nécessité par un programme de subvention en espèces à l'échelle nationale et représentant 15% du revenu national a placé l'Iran à l'avant-garde de tous les pays en matière d'évolution vers une forme d'allocation universelle [source]. Cependant le nombre d'ayant droit a été considérablement revu à la baisse en 2016 en raison de la baisse des revenus pétroliers de l'Iran, qui constituaient l'unique source de financement de cette AU [source]. Une information importante que livre l'expérience iranienne – outre la la fragilité des économies de rente– est que l'impact de l'AU sur l'offre de travail fut grandement exagéré par la presse locale [source].
Inde. En 2010, pendant dix-huit mois, 6 000 villageois, pauvres et souvent analphabètes, ont reçu des paiements mensuels inconditionnels. Il apparaît que ceux-ci ont été utilisés principalement pour se désendetter, pour envoyer les enfants à l'école, pour réparer la maison ou acheter des outils de production. Ainsi l'entrepreneuriat s’est développé, grâce à une sécurité financière minimale, incitant à prendre davantage de risques [source].
Philippe Van Parijs, professeur à l'université catholique de Louvain, fait remarquer qu'il n'est pas possible d'expérimenter l'AU de façon incontestable dès lors que l'expérimentation est partielle [source, p.117] :
Horizon temporel limité :
les effets de l'AU ne peuvent être correctement évalués qu'un certain temps après que l'AU ait été intégralement implémentée : ce n'est qu'alors que les interactions - qui peuvent accentuer ou atténuer l'effet global du système - auront pleinement agi ;
le comportement des "cobayes" sera très différent selon qu'ils anticipent que le système d'AU est définitif ou qu'il prendra fin au terme de la période d'expérimentation : dans le second cas, une partie des bénéficiaires aura tendance à ne plus travailler, afin de profiter de l'AU avant qu'elle ne soit supprimée (ceci dit, une autre partie préférera sans doute continuer à travailler, voire à se remettre au travail, afin que l'AU accumulée durant l'expérimentation viendra augmenter leur épargne ...).
Modalités temporelles. La durée d'une expérimentation devrait être au moins de 3 années, mais idéalement elle devrait porter sur deux voire trois générations, soit 60 années ...
Modalités spatiales. Celles-ci peuvent impliquer l'ensemble de la population de quelques zones (quartiers, villes ou régions) du territoire national (par exemple une prospère et l'autre en décrochage économique), ou seulement un échantillon représentatif composé d'individus répartis sur l'ensemble du territoire national.
Modalités factuelles. Il importe de compenser les limitations spatio-temporelles en maximisant le nombre des faits mesurés. En voici une liste non exhaustive (p. 126).
Évaluation. Les méthodes et résultats de l'expérimentation doivent être validée par un organe indépendant composé d'experts (scientifiques, fonctionnaires, ...).
Comparaisons. Lors de comparaisons internationales d'expérimentations il importe de vérifier que l'on compare ce qui est comparable (montant, degré de conditionnalité, objectifs spécifiques éventuels de l'expérimentation, ...).
Marc de Basquiat, ingénieur et économiste cofondateur du Mouvement français pour un revenu de base, fait justement remarquer que devant l’ampleur des évolutions induites par la mise en place du revenu de base, le recours à des simulations économétriques dans un but prévisionnel est très aléatoire. « Un changement de paradigme ne se modélise pas comme une évolution paramétrique. Nous ne pouvons que faire des hypothèses empiriques sur les taux d’actifs qui réduiront leur activité ou les inactifs actuellement résignés qui reprendront une activité, éventuellement partielle » [source].
En outre ces hypothèses seront probablement très dépendantes du montant de l'AU. Mais dans tous les cas, certains arrêteront de travailler (NB : pour des raisons pas nécessairement critiquables) tandis que d'autres retourneront au travail, et d'autres encore aux études.
Une garantie de production pourrait être assurée par l'instauration d'un service civil consistant en du travail presté régulièrement par chaque citoyen dans des entreprises 100% publiques (NB : nous considérons toute administration publique comme une entreprise publique). Ce service civil reposerait essentiellement sur trois principes :
Calibraqe. La fréquence (le y) et la durée (le x) de ce travail civique devraient être proportionnelles à la baisse de l'offre de travail induite par l'instauration de l'AU, qu'il conviendra donc d'évaluer.
À noter que la baisse de l'offre de travail induite par l'instauration de l'AU concernera essentiellement les activités les moins bien rémunérées, qui ne requièrent généralement que peu de compétence. Par ailleurs une part grandissante de ces activités est assumée par des robots de plus en plus efficaces ...
Et l'inconditionnalité ?! Ce service civil rompt évidemment avec le principe d'inconditionnalité. Mais il demeure que les principes ci-dessus valent pour tous les citoyens, mêmes les plus riches (l'inconditionnalité est donc remplacée par la symétrie). En outre ce service civil pourrait n'être imposé que pour les premières années d'instauration de l'AU, puis être supprimé s'il est confirmé que l'effet de l'AU sur l'offre nécessaire de travail est effectivement négligeable. Mais peut-être constaterons-nous que les effets bénéfiques du service civil en matière de cohésion sociale sont tellement important que l'on décidera de le conserver ...
Il ressort des faits que nous venons d'évoquer, que l'effet de l'AU sur l'incitation au travail, et partant sur l'offre de travail, sera relativement limité (qu'il soit positif ou négatif). Il importe cependant d'évaluer correctement une éventuelle réduction de l'offre de travail afin de mesurer son impact sur la production de biens et services (peut-être certains secteurs seront-ils plus touchés que d'autres) ainsi que sur les recettes de l'État (chaque citoyen qui arrête son activité professionnelle c'est autant de recettes d'impôts sur les revenus du travail en moins pour l'État).
Selon nous il apparaîtra que l'effet de l'AU sur le travail est moins quantitatif que qualitatif. La nature des produits et services, leur mode de production et consommation, tout cela va évoluer sur base des principes de développement durable (cf. la notion de champ de valeur) et de cogestion.
L'AU participe à éradiquer le syndrome d'épuisement professionnel par l'ennui et à libérer ainsi des travailleurs pour des activités productives.
Nouveau paradigme culturel. Pour le sociologue Alain Caillé « la seule chose que la société soit en droit de demander positivement en échange d’un revenu inconditionnel de citoyenneté, ce n’est pas de l’utilité, indéterminable, mais de l’initiative, de la vie et de la participation effective à la production de la collectivité par elle-même. Liberté doit être laissée à ceux qui reçoivent un revenu inconditionnel, dont il faut quand même rappeler qu’il ne leur permet guère de mener la grande vie, de décider par eux-mêmes de ce qui est utile ou de ce qui ne l’est pas ».
D'autre part le sociologie précise que « le fait de ne pas exiger de retour ne signifie pas et ne doit surtout pas signifier qu’on n’en attend pas » [source]. L'État aura donc un important rôle éducatif à exercer pour construire et entretenir une nouvelle culture adaptée au nouveau paradigme de sécurité sociale. À cet égard l'éventuel service civil évoqué à la section précédente pourrait jouer un rôle important.
Le droit à l'AU est lié à la citoyenneté, laquelle peut être fondée sur une période minimale de résidence fiscale, sur la connaissance de la langue officielle, ...
En France pour percevoir le RSA (ou la prime d'activité), vous devez résider en France de façon permanente, la durée de séjour(s) hors de France ne doit pas dépasser 3 mois par année civile ou de date à date. En cas de séjour(s) à l'étranger de plus de 3 mois, le RSA (ou la prime d'activité) n'est versé que pour les seuls mois complets de présence en France [source].
Dans la mesure où l'AU ne serait pas implémentée en même temps dans tous les pays, ceux qui l'instaurent devront garantir un contrôle efficace de leurs frontières afin de prévenir l'arrivée d'un flux massif de migrants économiques. Cependant le nombre et l'ampleur des effets positifs de l'AU (cf. /effets) suggèrent que le premier pays qui installera avec succès l'AU sera très rapidement suivi par tous les autres pays. Demeureront cependant les différentiels de PIB/hab, et donc d'AU, entre pays limitrophes, ce qui, toute autre chose étant égale, devrait stimuler les flux migratoires des pays à plus faibles AU vers ceux à AU plus élevée. Si l'ampleur de ces flux devient nuisible pour les pays d'émigration et/ou immigration, un contrôle accru des frontières serait probablement nécessaire, sauf si les effets pervers de ce contrôle l'emportent sur celui des différentiels d'AU.
Un versement mensuel de l'AU présente l'avantage de correspondre à la périodicité des actuels virements de pensions et allocations de chômage. Ainsi en ne bouleversant pas ces habitudes on facilite la transition entre le présent système de sécurité sociale et celui "version AU".
D'autre part, un paiement annuel faciliterait les petits investissements.
On pourrait commencer par des versements mensuels pendant quelques années puis - une fois le système d'AU bien rôdé- passer à un paiement annuel.
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Une publication de François Jortay